Le constat

La communauté apprenante en ligne fait aujourd’hui souvent figure de fausse bonne idée. Séduisante par sa dimension numérique et asynchrone qui permet en théorie de rassembler des centaines d’individus autour d’une thématique commune, elle échoue, dans la pratique, à durer dans le temps et à impliquer massivement ses membres.

Paradoxalement, ce sont ses atouts qui desservent la communauté apprenante en ligne. L’intelligence collective originelle, telle que définie par le chercheur Jean-François Noubel, s’appuie en effet sur des petits groupes synchrones, inférieurs à 13 personnes. Dans le cas qui nous intéresse, l’asynchronisme et surtout l’importance des effectifs enrayent le processus. Ainsi, avec des groupes supérieurs à 12 personnes, on retombe inévitablement sur le schéma défini par le chercheur William D. Hill et connu sous le nom de « règle des 1% ». Cette règle, cauchemar des community managers, établit études à l’appui qu’un pourcent seulement des membres d’une communauté se montrent proactifs (en fait 5% au maximum).

Concrètement, sur 200 ou 300 membres d’une communauté apprenante d’envergure, une petite dizaine de personnes au mieux auront à cœur de faire avancer le schmilblick. Même en faisant la part des 10 ou 20% de « réactifs » (dont le rôle se limite à rebondir sur les interventions des autres), on constate qu’une écrasante majorité des membres demeurent dans l’inaction. Pourquoi ? Parce que l’outil destiné dans son principe à leur faire gagner du temps est assimilé dans l’esprit des membres à une charge chronophage.    

Dans cette mesure, le défi de toute communauté apprenante en ligne est de rechercher par tous les moyens à remédier à son défaut d’attractivité et, par ricochet, à sa trop faible espérance de vie (3 à 6 mois). La finalité d’une communauté apprenante est effectivement de développer une culture de l’apprentissage sur le long terme et non pas se borner à réapparaître périodiquement sous un nouvel intitulé pour accompagner la fin de chaque nouvelle formation.

Les pistes

Jean-Michel Cornu, spécialiste de la coopération et de l’intelligence collective, fait progresser la réflexion sur le sujet en renversant les idées reçues.

La question des community managers

Tout d’abord, il pointe le fait que les community managers sont généralement contre-productifs. Sous leur impulsion, la communauté, censée être la propriété indivise du groupe, devient en effet implicitement leur « chose » et les membres du réseau sont moins tentés de s’en emparer. Pour sortir de ce schéma en étoile, Cornu préconise plutôt l’emploi d’un facilitateur dont le rôle consiste à détecter les « observateurs ».

Après les proactifs et les réactifs, ces observateurs constituent la dernière ressource potentielle du réseau. Quoique dans l’inaction, ces derniers suivent ainsi avec un certain intérêt les échanges des autres membres et le facilitateur qui les a identifiés doit s’attacher à les impliquer concrètement dans la vie de la communauté. Comment ? Au moyen de rencontres informelles et d’ateliers synchrones.

Les ateliers synchrones

L’idée est de revenir au schéma fonctionnel de Jean-François Noubel (des petits groupes synchrones) en incitant à tour de rôle les membres de la communauté à proposer des ateliers d’une heure pour partager quelque chose qu’ils savent, qui leur pose question ou qui les met en difficulté. L’important est que le membre à l’initiative de l’atelier soit intéressé par le sujet qu’il propose.

En théorie, tout le monde est invité à ces rencontres (le plus souvent en visio) et même si, dans la pratique, leur fréquentation ne saurait atteindre chaque fois un grand nombre d’individus, la répétition et la variété des thèmes doit à la longue étendre mathématiquement leur audience. Il est d’ailleurs plus facile de rejoindre un atelier (virtuel ou présentiel) qu’une discussion en ligne qui nécessite au préalable de se présenter et que l’on prend toujours plus ou moins en cours de route.

Autre avantage : les ateliers synchrones créent une activité concrète qui dynamise la communauté et produit de la ressource pour les autres membres (via un replay ou une synthèse sous forme de questions/réponses simples). La communauté, qui sort du cadre strict de la discussion, devient alors un lieu réel de partage et d’apprentissage en commun. 

Le facilitateur incite les membres à proposer des ateliers en fonction de leur profil de poste, des formations qu’ils ou elles ont suivi, etc. en insistant bien sur le fait que l’atelier ne prend pas plus de temps à son organisateur qu’à ses participants puisque tout repose sur l’interaction du groupe.

Le rôle de l’organisateur se borne en fait à la suggestion d’un thème et à l’envoi des invitations. Le facilitateur peut d’ailleurs l’aider sur ces deux aspects, en l’aidant à formuler sa proposition et en le conseillant dans la rédaction d’invitations courtes et efficaces qui optimisent leur chance d’être lues avec attention.

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