D’aucuns comparaient déjà le CPF au RSI. Désormais, on va pouvoir comparer le CPF à la Sécurité Sociale ; un autre modèle de « succès »…

A partir de 2023, le gouvernement envisage en effet de laisser à la charge des utilisateurs 20 à 30% du montant des formations professionnelles souscrites via le CPF. Une mesure qui s’annoncerait lourde de conséquences et pourrait marquer un coup d’arrêt important dans le développement des compétences, pourtant au centre du plan de relance post Covid.

Une Sécu en moins bien

La comparaison avec la Sécurité Sociale qui s’impose d’emblée à l’esprit présente des limites.

Le fait que la Sécurité Sociale ne rembourse pas intégralement les frais de santé se justifie par la raison que les dépenses des bénéficiaires, par définition aléatoires, peuvent excéder les montants cotisés. En l’occurrence, les titulaires d’un compte CPF n’ont jamais accès qu’à des sommes effectivement cotisées. Le risque que les dépenses dépassent les ressources est donc nul, d’autant plus que le montant du CPF étant plafonné, l’Etat conserve actuellement pour son bénéfice le surplus des cotisations.

En théorie, les montants des comptes CPF devraient ainsi être regardés comme des dépôts en banque et utilisables comme tels. Pourtant, le déficit abyssal de France compétences, qui a déjà amené sur les derniers mois une forte réduction des aides accordées aux CFA, une lutte contre les fraudes et une limitation du catalogue aux formations jugées directement professionnalisantes, pousse encore le gouvernement à revoir le principe de prise en charge des formations sur le modèle de la Sécurité Sociale.

Une Sécurité Sociale sans mutuelle puisqu’aucun organisme ne viendra a priori compenser ici le déremboursement de l’Etat…

Le décrochage programmé des couches défavorisées

Concrètement, le coût moyen d’une session de formation achetée via l’application s’élevant aujourd’hui à 1 190 €, le reste à charge pour le bénéficiaire se situerait vraisemblablement entre 238 et 357€. De quoi faire réfléchir les personnes les plus éloignées de l’emploi (travailleurs handicapés ou non qualifiés, chômeurs, etc.) qui constituaient pourtant à l’origine le cœur de cible du dispositif. L’objectif de la ministre du Travail Muriel Pénicaud en lançant cette application était ainsi de « rendre la formation accessible à chaque salarié et à chaque demandeur d’emploi ». Elle visait en priorité les travailleurs les moins qualifiés, pour les aider à monter en compétence et « lutter contre les inégalités sociales et les inégalités des chances » (dixit Eric Lombard, DG de la Caisse des Dépôts).

Les foyers modestes, déjà confrontés cette année à une inflation record, peineront à suivre des cursus de formation pourtant nécessaires à leur accès ou leur maintien à l’emploi et bien peu pourront bénéficier intégralement du plafond de 8000€ de leur CPF si ce bénéfice s’accompagne d’un reste à charge compris entre 1600€ et 2400€ !   

Déjà la privatisation des universités avait instauré dans l’accès à la formation initiale une sélection par l’argent en augmentant considérablement les frais d’inscription. Demain, ce droit d’accès à la formation continue risque d’aggraver la marginalisation des couches les plus défavorisées et contribuer à construire en France une société à deux vitesses... 

Existe-t-il une autre solution ?

On l’a dit : le partage des coûts avec les bénéficiaires constitue une tentative pour combler le déficit de France compétences. Pourtant, ce déficit s’expliquant en grande partie par la faiblesse des moyens engagés (0,10% de la masse salariale des entreprises de plus de 10 personnes en France, contre 2,5% du PIB en Allemagne), l’exécutif pourrait manifestement, en s’inspirant de ce qui se pratique de l’autre côté du Rhin, tenter de financer le dispositif du CPF sans recourir au portefeuille des utilisateurs.

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