Contexte et enjeux

Les défis qui s'annoncent à l'horizon 2030 (avènement du Big data et de l'intelligence artificielle, accroissement de la concurrence mondiale, etc.) ainsi que la problématique continue des risques psycho-sociaux liés à un mal-être au travail, exigent aujourd'hui une plus grande adaptabilité et une réflexion sur la place du salarié dans l'entreprise.

Pour cette raison, il est intéressant de s’interroger si les modèles d’organisation choisis par les entreprises françaises correspondant à cette double exigence.

En l'occurrence, on distingue actuellement quatre modèles d'organisation du travail, à savoir:

  • le modèle de type simple, le plus ancien, aujourd'hui encore très présent dans les domaines du service à la personne et de la restauration, défini par une faible autonomie du salarié, une grande répétitivité des taches et un processus de travail assez peu formalisé.
  • le modèle taylorien classique, apparu aux Etats-Unis à la fin du XIXème siècle, pour répondre à un besoin de production massif dans un environnement stable et hautement prévisible. Il se caractérise par une formalisation extrême des processus, un découpage strict des taches et, là encore, une grande répétitivité.
  • Le modèle lean, apparu au Japon dans les années 70, où le salarié, privé d'autonomie, subit de plus un stress fort et des cadences de travail élevées. Avec le modèle taylorien, c'est le type d'organisation qui favorise le plus les risques psycho-sociaux. Il concerne aujourd'hui un tiers des entreprises françaises.
  • Le modèle apprenant, issu des cultures nordiques (Scandinavie, Pays-Bas) et qui a commencé à pénétrer le monde professionnel français autour de l'an 2000.

Comment définir le modèle apprenant

L'économiste Salima Benhamou, co-auteur avec Edward Lorenz de l'étude sur le sujet publié au mois d'avril par France Stratégie, définit le modèle apprenant comme une organisation qui cherche à augmenter perpétuellement les capacités d'apprentissage de ses membres pour innover et anticiper les transformations futures.

Ce modèle passe évidemment par le développement de modes de gestion et de processus RH spécifiques. Il s'agit en effet de promouvoir au sein de l'entreprise une culture de l'apprentissage à travers la formation continue, la participation des salariés dans la définition des objectifs, la valorisation du travail en équipe ainsi que l'autonomie, l'initiative et les possibilités d'expérimentation accordées aux salariés.

Le modèle apprenant offre plus d'opportunité à chaque salarié de développer ses propres idées et ses compétences. Sur les quatre modèles d'organisation du travail, c'est le seul qui semble adapté au contexte actuel en favorisant le développement des soft-skills (adaptabilité, résolution de problèmes complexes, esprit critique, etc.) qui font aujourd'hui cruellement défaut en France. L'étude constate d'ailleurs un plus fort taux d'innovation dans les entreprises qui appliquent ce modèle, mais aussi un emploi plus stable et une moindre exposition aux risques psycho-sociaux, quels que soient par ailleurs le secteur d'activité, la taille de la structure et CSP du salarié.
Au contraire, les modèles taylorien et lean apparaissent obsolètes dans un environnement de plus en plus complexe car de plus en plus imprévisible. Comme le modèle simple, ils ne permettent pas une organisation du travail flexible propre à anticiper les mutations à venir.

Les freins au développement du modèle apprenant et le rôle de la formation continue

Malgré ces atouts incontestables, le modèle apprenant est aujourd'hui en recul en France au profit du modèle lean, pourtant beaucoup moins adapté aux mutations importantes du monde professionnel et infiniment plus exposé aux risques psycho-sociaux.

Cette faible pénétration du modèle nordique en France peut s'expliquer par la culture. Contrairement aux Scandinaves qui accordent une grande considération au savoir acquis en milieu professionnel et incitent pour cela à la formation continue dès le secondaire par la voie de l'alternance, les Français valorisent davantage la filière académique classique, visant à un apprentissage théorique, que la filière professionnelle qui tend à fournir des compétences pratiques.

Dans la même veine, la formation continue, qui s'est construite en France sur le modèle scolaire et académique valorise davantage les cours et les stages fondés sur un savoir théorique. En outre, les actions de formation se déroulant majoritairement hors de l'entreprise, elles sont par définition moins opérationnelles que les actions de formation «à la scandinave» qui visent à augmenter concrètement les compétences techniques, organisationnelles et cognitives des salariés sur leur lieu du travail.

Il y aurait donc une double réflexion à mener par les dirigeants et managers des entreprises, d'une part, dont la détermination et l'implication sont nécessaires à la mise en place d'un modèle apprenant, et par les organismes de formation, d'autre part, dont les méthodes traditionnelles nuisent encore trop souvent à l'épanouissement de ce nouveau modèle.

Approfondir